les nocturnes | jung ran

Il s'arrêtera pas le commerce, il s'arrêtera pas comme ce froid en automne qui revient comme les nouveaux clients viennent. C'est les bouquins qui parlent de quatre saisons, toi t'as l'impression qu'il n'y a que ce qu'on nomme été et hiver. Le reste du temps, c'est que des aléas de ce qu'il reste de la météo.
Aujourd'hui tu t'appelles Nana. Tu viens d'le décider là, à chaque transaction un nouveau prénom. T'as mis du temps à arriver dans l'quartier, le froid qui glace tout le corps, de la tête aux pieds. Tu te frottes les mains, souffle dedans pour réchauffer les longues phalanges aux ongles colorés. T'as pas la peur au ventre d'être ici, un paquet plein de bâtons de nicotine caché dans des bottes compensées comme on cacherait un couteau de survie bien affûté. T'es pas effrayée par le sang chaud des enragé.e.s t'as appris à leur parler. T'avais même pas quinze ans quand t'as appris à les écouter.

Les grandes gueules sont celles qui parlent le plus mais en vrai n'font rien. L'voleur qu'tu dois remercier pour ces cigarettes à beaucoup parler d'son butin. Tellement parlé qu'tes tympans ont sifflé, comme un appel à se faire voler. Parce que le gars il était fier, fier d'avoir dérobé ces paquets à un pauvre gamin qui voulait juste essayer l'addiction légale.
Gosse qu'était tombé par hasard sur ce bien tant recherché. Une âme qu'à pas mérité de se faire casser l'nez alors toi tu l'as pointé le bout de ton nez. Voleur amateur pris à son propre jeu. Faudrait passer un diplôme pour arnaquer, tous ces gens là, t'as qu'une envie c'est qu'iels soient recalé.e.s. Alors toi ce que t'as fait c'est partager une cigarette avec celui que t'appelles enfant même si tu lui as demandé son prénom. En lui disant que c'est mal de fumer parce qu'après les mégots finissent par terre et mettent jusqu'à 12 ans à se dégrader.

Il y a malinois Balou qui aboie. T'as donné rendez-vous à Yongsan Market; lieu de rencontre toujours aléatoire. Faut dire que t'envoies un sms toujours au dernier moment. Les crédits sont limités alors tu ne sais pas qui tu attends car tu ne fais jamais la conversation. Nana, Yongsan Market, cherches le malinois entre deux stands. Tu ne vas pas dans les détails.
Aboiement parce qu'elle se rapproche. Tu sais que c'est elle qui veut ce que tu as, ça s'voit toujours dans le regard.

Jung Ran ne sait même plus comment elle a entendu parler de cette fournisseuse. Un simple numéro, une demande et attendre. Choper un téléphone n'est pas facile, en avoir une utilisation régulière coûte une petite somme, mais elle est prête à la dépenser si c'est pour refaire son stock de clope. Elle déteste avoir à se retenir et presque les compter, une denrée presque plus rare que la nourriture. Mais ça ne l'empêche pas de se promener au travers du marché où les quelques stands encore ouverts à cette heure-ci tentent de se faire un peu d'argent pour survivre à l'hiver. La belle est bien emmitouflée dans un manteau et une écharpe, elle promène son regard et renifle l'agréable odeur de nourriture qui s'élève dans les airs. Tout paraît presque normal, banal si l'on a connu la normalité. Mais derrière chaque sourire, derrière tentative de vendre sa marchandise se cache une âme en peine qui craint de ne pas passer l'hiver. « Prenez donc un café madame, il vous réchauffera et il est délicieux. » Alors Jung Ran s'arrête par envie ou par pitié et prend un café brûlant pour accompagner sa cigarette, les yeux toujours à la recherche du fameux malinois.

C'est sûrement l'animal qui la voit en premier. Elle le regarde lui, puis sa maîtresse, jeune femme toute menu à l'allure sereine. Une demoiselle charmante dans les yeux de laquelle Jung Ran voit la malice et l'ingéniosité. Elle tend une main libre. « Jung Ran. » Mais est-il nécessaire de vraiment faire les présentations ? Peut-être. Si cette demoiselle peut lui fournir des cigarettes en un clin d'œil, elle ne la laissera pas s'échapper. Quand leurs mains se desserrent, elle laisse dans la sienne son dû, avec un supplément, pour montrer qu'elle est prête à marchander dans le futur. Elle n'a plus qu'à attendre la fameuse marchandise, son poison. Quand ses poings ne parlent pas, sa langue peut être de velours. « Je suis sûre que l'on pourrait devenir de très bonnes amies toutes les deux. » Personne ne s'attarde sur leur conversation, personne n'en a le temps ni le courage. Elle jette un nouveau coup d'œil au chien, qu'elle ne touche pas, elle a déjà appris à ses dépens que l'on ne touche un animal qu'avec la bénédiction du ou de la maître.sse.

Toujours à l'heure quand il s'agit du commerce, c'est pas que tu veuilles être plus professionnelle que cela, c'est juste que t'aimes quand c'est vite fait bien fait; comme on dit. T'aimes pas t'attarder, parce que moins t'en dis mieux c'est pour ta sécurité. Pas qu'la tienne d'ailleurs; t'es plus seule dans tes affaires. Enfin, c'est plutôt qu'vous êtes plus deux; Balou et toi. L'clébard qui aboie la, à l'arrivée de ta cliente.

Il suffit d'un mot de ta part pour faire cesser les aboiements et pour que la belle puisse s'approcher. La main qui se tend, poignée de main. « Enchantée. » Tu ne dis qu'un mot mais au moins tu le penses.
Dans ta main la somme (et plus) attendue. Sourire sur les lippes colorées de la même couleur que les ongles. « Merci bien. » Même si faut s'l'avouer c'est plutôt à elle de remercier pour le cadeau empoissonné de nicotine parce qu'il est rare d'se les procurer aussi facilement ces paquets. T'es quand même sincère dans tes remerciements parce que tu fais pas ça pour l'argent. Pas la pour t'enrichir, tu t'prends juste le nécessaire pour vivre dignement et après tu partages avec celleux dans le besoin et la t'as d'quoi bien partager.

Un paquet contre chaque cheville, un peu de souplesse à pied joint pour les récupérer les deux morceaux d'cartons abîmés comme s'ils avaient été comprimés dans une main enervée. « Deux paquets. Comme convenu; pas d'inquiétudes les cigarettes vont bien même si on peut pas en dire autant des paquets. » Faut dire qu'ils sont passés d'mains en mains mais tu ne vois pas d’intérêt à ce qu'elle connaisse toute l'histoire. Un rire s'échappe de tes lèvres à la suite de sa remarque. « Je ne suis pas amatrice des amitiés par intérêt. » Qu'tu lâches en toute méfiance. T'y peux rien, tu t'méfies de toute personne non libertaire; jusque là, les seul.e.s qui ne te déçoivent pas. « Balou, lui, il est ami avec tout le monde sauf quand on manque de respect. » Tout sauf une menace, c'est pas un chien des forces spéciales pour rien, donc mieux vaut prévenir que guérir. « Que dirais-tu de marcher un peu pour se réchauffer ? C'est pas tous les jours qu'on peut sympathiser avec la boss du ring. » C'est évidemment pas la seule à porter ce prénom dans cette ville mais t'as peu de doutes; alors t'y vas au culot. Pour une fois, tu veux bien laisser tomber ta règle du vite fait bien fait. Parce qu'au fond tu l'sais; c'est pas la dernière fois que tu vas la voir; Kang Jung Ran.

Effectivement les paquets racontent leur histoire de par leur apparence et ils sont vite glissés dans les poches, à l'abri des regards et des envieux. Les cigarettes font partie des marchandises qui s'échangent le plus au marché noir ou lors de ce genre d'échange. Jung Ran espère sincèrement que cette demoiselle pourra la fournir régulièrement, sans savoir comment elle s'y prend ni à quel point elle est douée, ce qui l'importe c'est d'avoir ce qu'elle veut à la fin. Et comme on le dit si bien, la fin justifie les moyens et cette Nana peut bien utiliser les moyens qui lui chantent.

Un petit sourire se place sur les lèvres de la Boss quand la demoiselle fait preuve de répartie. Elle ne peut pas lui en vouloir, mais dans ce monde les choses fonctionnent très souvent de la sorte, qu'on le veuille ou non. Quant au chien, c'est bon à savoir, mais elle n'y touche pas pour autant, se contente de sourire à l'animal. « J'ai bien peur de n'être appréciable que par intérêt. » Par peur aussi. Quand on gère un tel business, on en vient à se méfier de tout ce qui approche et l'on préfère souvent être la personne qui fait le premier pas. Enfin, un peu d'autodérision ça ne fait pas de mal, Jung Ran sait pertinemment ce qu'elle représente aux yeux des gens. Même aux yeux de la jeune femme, surtout quand elle accepte de faire un petit bout de chemin avec elle. La cigarette se consume au bout de lèvres étirées en un sourire amusé. « Ma célébrité me dépasse parfois, enfin si on peut parler de célébrité. » Un petit rire, le mégot au fond du gobelet de café vide. Incroyable que l'on trouve encore ces trucs dits recyclables. Séoul tente de se refaire, ses citoyens aux avis divergeants veulent le bien de leur propre futur, seulement chacun.e.s voient les choses différemment.

« Mais il ne faut pas écouter tout ce que les gens disent. » Elle hausse les épaules, il n'y a pas que du faux dans les rumeurs qui courent les rues, mais ce n'est jamais pareil d'avoir la personne concerné.e en face de soi. D'autres vendeur.se.s tentent de les attirer, de leur vendre quelque chose et c'est là que l'on se rend compte d'à quel point certains sont désespéré.e.s. Jung Ran n'est pas des plus altruistes, mais ce serait mentir que de dire que ce genre de vision la laisse de marbre. Elle détourne le regard, songe au projet des libertaires et se dit qu'elle ira y faire un tour. « On pourrait presque dire que je suis comme ton compagnon, je ne mords que si l'on me manque de respect. » Mais qui oserait ? « Mais ne parlons pas de choses négatives, ce sont tes talents pour te procurer des choses qui m'intéressent. » Comme si cela n'était pas évident. Mais Jung Ran reste discret, sa voix ne s'élève pas plus haut que nécessaire pour se faire entendre.

Des clopes, de la tise et des médocs, produits phrases de toute ère, semble t-il. De toutes générations, de toutes classes, tous.te.s se mettent d’accord sur les premières nécessités. Qu’on vienne pas te demander où est la nourriture dans c’tas, t’en a croisé du beau monde qui préfère un paquet d’nicotine à trois repas dans la journée. Tu n’es plus étonnée d’rien, tu n’juges rien.
Tu n’iras pas jusqu’à dire que c’est l’époque qui veut ça parce que vous êtes quelques un.e.s à ne plus vouloir d’tout ça. Quelques un.e.s à ne pas vouloir non plus d’amitiés par intérêt. Tu te sens obligée de le préciser, même dans les affaires fidèle à toi même. Tu as envie de dire que c’est malheureux suite à la réponse de la belle mais les convictions reviennent de plus belles. « Laisse moi en douter. » Les mots glissent sur les lippes colorées qui s’étirent dans un sourire dont la douceur reste encore inconnue à la majorité de tes client.e.s, s’en suit une invitation à une promenade entre les étals de Yongsan Market.

Promenade en charmante compagnie, en puissante compagnie car il s’agit bien là, de qui tu penses. Petit rire aussi suite à sa plaisanterie. Faut bien avouer qu’la curiosité te pique fort à l’idée de faire quelques pas avec la jeune femme qui gère le ring du quartier. Tu l’écoutes dire qu’il ne faut pas écouter tout ce que les gens disent. « Ça tombe bien, j’suis pas de ce genre là. » Tu es de cell.eux qui font le tri dans les dits et les non dits. Et si tu es curieuse c’est bien parce que tu es intéressée par ce tri de rumeurs que t’as fait.
Pour cette cliente tu outrepassera les règles que tu t’es fixée. Encore une de ces choses que tu sens, plus qu’un pressentiment une intuition qui vise toujours dans le mille quand on prend le temps de l’écouter parler; la petite voix dans la tête.

Autour de vous, devant tes yeux tout c’que tu détestes du quartier. Vraiment tu ne comprends pas, tu comprends pas comment il peut se passer un jour de plus sans qu’rien ne change. Les solutions sont là, suffit d’essayer. Tu souhaites un bon courage à chaque personne trop insistante. « Un jour tout ça changera. » Que tu lâches rhétoriquement dans un murmure à toi même que tu voudrais hurler à la gueule du monde entier; hors sujet de votre conversation.
Pour revenir à la conversation tu réponds « On vient d’se trouver notre premier point commun. » entre la plaisanterie et l’ironie vu qu’il ne s’agit pas la d’un speed-dating de l’amitié mais d’un échange de bons procédés. « Serait-ce le début de ma célébrité ? … Plus sérieusement, si tu ne cherches pas à savoir comment je me procure ‘certaines choses’ on va dire, ni à savoir pourquoi les prix changent parfois, mes talents sont à ta dispo presque quand tu veux. » C'est pas plus compliqué que ça.

Elle à l'air bien cette fille, mais comme à son habitude, Jung Ran ne se fie pas aux premiers abords, aux premiers mots échangés, il en faudra plus pour se faire une idée. Il n'est pas encore question de confiance, mais plutôt de faire connaissance; quels bénéfices peuvent elles échanger ? Il serait trop objectif de dire qu'elle la sent bien, mais moins de dire qu'elle l'intrigue de par son hatitude. Jung Ran ne se balade pas souvent en d'autre compagnie que celle de ses plus fidèles allié.e.s, les plus proches, ceux avec qui elle maintient cette image quelque peu intimidante que les autres aiment se faire d'elle. Elle le fait par sécurité, pour maintenir un statut auquel elle s'est habitué et qu'elle pourrait perdre à la moindre faiblesse apparente. Mais là, elle se balade nonchalamment avec la demoiselle, bien qu'il y est sûrement quelqu'un dans l'ombre pour s'assurer de sa sécurité, presque sur le point de se faire une nouvelle amie, une première amie.

Perdu dans ses pensées, elle ne fait presque pas attention aux paroles échappées, mais rit doucement aux suivantes quand le focus est de nouveau sur la fournisseuse. « Et je suis sûre qu'on pourra en trouver d'autres. » Leurs objectifs ne sont sûrement pas les mêmes et il ne faut pas y réfléchir trop longtemps pour voir que bien des choses les différencient aussi, mais entre femmes autonomes qui persévèrent et survivent dans un monde comme le leur, elles ont sûrement bien plus de points communs qu'elles n'y pensent encore. « Ho, je pourrais te rendre encore plus célèbre que tu ne l'es sûrement déjà, mais je ne pense pas que ça t'aide dans ton entreprise, je me trompe ? » Inutile de crier sur tout les toits et à la concurrence qu'une fournisseuse de talent se tapis dans les rues de Séoul, ça ne ferait que la mettre en danger. Les personnes de son milieu sont généralement discrètes et ne se font habilement connaître que de leurs potentiels clients.

Quelques pas plus loin, c'est la même vision qui s'offre à elles, un paysage oppressé, mais courageux, teinté de désespoir mais aussi de l'envie de vivre. Personne ne se laisse abattre, personne ne se repose sous ses lauriers. Jung Ran croise un regard qu'elle connaît, celui d'une femme qui évite aussitôt le sien, emmitouflé dans une couverture derrière une stand miteux ou sur deux tables de fortunes sont exposées des écharpes faites à la main avec quelques tissues, laine et autre matériaux récupérés. « Juste une minute. » glisse-t-elle à Nana. Elle admire ces personnes aux talents bien différents des siens. La boss s'approche du stand, pose les yeux sur les créations pour ne pas forcé la vendeuse à soutenir son regard. Elle la déteste sûrement, elle qui tient ce lieu ou elle doit souvent venir récupérer son mari en piteux état, toujours plus ivre, toujours plus pauvre. Ce n'est pas de la bonté ou de l'altruisme qui pousse Jung Ran à lui acheter une écharpe, elle ne s'excusera pas pour le mal qu'elle cause à ses dépens, après tout elle ne force personne à venir au RIng. Mais elle n'est pas mauvaise, ne fait preuve d'aucune sadisme et ne prend aucun plaisir à voir les gens dans la souffrance. La femme accepte les quelques pièces et les deux cigarettes en échange de l'écharpe. « Pour vous. » Si son mari est faible, fragile, ce n'est pas de sa faute, c'est pour ça qu'elle insiste pour que le paiement ne soit pas partagé avec ce dernier. Sans un regard de plus elle retourne vers sa compagne de la soirée, enroulant l'écharpe autour de son cou en plus de celle déjà présente pour la réchauffer. « On est jamais assez couvert. » Une odeur de renfermé et de poussière émane du tissue, mais elle n'y fait pas vraiment attention. Elle aime à se fournir chez celleux qui sont dans le besoin, iels sont doué.e.s de leurs mains et leur came tient la route. « Pour en revenir à notre conversation, je ne serais pas curieuse. Tu gère tes affaires comme bon te semble, tant que j'ai ce dont j'ai besoin quand j'en ai besoin, dans la limite du raisonnable. » RIen de plus, rien de moins. Une affaire comme une autre, dans le respect et le professionnalisme. Pour le moment. « Quant aux paiements, je m'adapterais, mais je ne manque pas de ressources donc il ne devrait pas y avoir de problèmes à ce niveau-là. Et puis je possède des choses qui pourront peut-être t'aider à trouver de nouveaux clients... » Elle a un sourire en coin. Alcool,  des personnes qui n'ont pas peur de se salir les mains... Jung Ran ne manque pas de ressources. « Si tu en as besoin bien sûr. »